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Chroniques
Gilbert Amy, quatre-vingt printemps
Leonard Elschenbroich, Stefan Asbury
On se souvient de certaines exécutions d’œuvres de Gilbert Amy par le (Nouvel) Orchestre Philharmonique de Radio France qu’il fondait en 1976, comme Strophes, sous sa battue, à la maison ronde. Il faut cependant rappeler que la plupart d’entre elles furent écrites bien avant et créées par d’autres musiciens (Strophes, précisément, date de 1966). De même l’enregistrement d’Orchestrahl (1985/89) de 1996 pourrait-il laisser accroire que l’orchestre maison en serait l’accoucheur : c’est pourtant l’Orquesta Sinfónica de Radio Televisión Española qui le fit naître, lors des Rencontres internationales de musique contemporaine de Metz. Alors qu’il occupait un poste qui pouvait induire une infiltration plus invasive de sa musique, c’est à Bruxelles, à Donaueschingen, Jérusalem, Kiel, Londres, Lyon, Royan ou Tokyo que ses nouveaux opus verraient le jour. Et s’il faut dire quelle phalange française s’est illustrée le plus dans ses premières, il s’agit de l’Orchestre de Paris (D'un espace déployé, Missa cum jubilo, Trois scènes, etc.).
Le 29 août dernier, Gilbert Amy fêtait quatre-vingt ans. À cette occasion, le Festival Berlioz de La-Côte-Saint-André jouait Choros (1989), le soir même [lire notre chronique]. Entre deux séries de deux rendez-vous autour de pages chambristes, les musiciens du Philhar’ gagnent le plateau de l’Auditorium pour un programme diffusé en direct par France Musique. Confié à la baguette de Stefan Asbury [lire nos chroniques du 25 novembre 2008 et du 21 mai 2006], il est ouvert par une lecture soignée, quoiqu’un peu droite, du Ricercare du Musikalisches Opfer de Johann Sebastian Bach (1747), orchestré par Anton von Webern selon sa méthode de la Klangfarbenmelodie (1934/35). On goûte le voyage du motif, grâce à la qualité de la plupart des traits quasiment solistiques où brillent, entre autres, le contrebassiste Christophe Dinaut et le bassoniste Jean-François Duquesnoy.
Après cet hommage à la jeunesse d’Amy – puisque c’est dans l’héritage des Viennois qu’ont débuté les concerts du Domaine musical (en 1954), comme en témoigne son Mouvement pour quatuor à cordes (1958) entendu cet après-midi [lire notre chronique] –, honneur est fait au compositeur de ces quinze dernières années avec le Concerto pour violoncelle et orchestre qu’il écrivit en 1999 et 2000, à la demande du Suntory Hall de Tokyo où Jean-Guihen Queyras en livra première sous la direction de Michiyoshi Inoue. Cette suite en sept sections enchaînées est dédiée à la mémoire de Tōru Takemitsu (à qui avait été déjà dédié, de son vivant, le bref 5/16 pour flûte et accompagnement d’une percussion en bois). Nous ne croyons pas que Leonard Elschenbroich rende pleinement compte de ce concerto par une prestation soliste à la fois peu assurée et très spectaculaire. Dans cet opus l’on rencontre une dimension rituelle parfois proche de Boulez dont il n’adopte évidemment pas la langue. De nombreuses redites et un format qui va s’étirant sans guère inventer nous perdent en route, il faut l’avouer… sans parler du final dansé.
Contemporain de la transcription webernienne, puisqu’il fut conçu en 1931, Le tombeau resplendissant d’Olivier Messiaen convoque le grand effectif – une page retirée du catalogue par son auteur dès après la création (1933), de sorte qu’on ne la put réentendre qu’après sa disparition. L’enthousiasme de l’interprétation l’emporte sur une de ces factures youpi un brin exaspérantes. La partie centrale, élégie tournoyante de cordes tendres, affiche cette sonorité inimitable qu’on retrouve dans les dernières œuvres. La mélodie des violoncelles sur une pédale de violons, céleste, est pure merveille sous nos archets radio-symphoniques.
Les trois mouvements qui forment L’espace du souffle de Gilbert Amy furent commandés par le Printemps des arts, le festival monégasque, confiés à Eliahu Inbal qui les crée avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, en avril 2010. Depuis, la formation a gravé l’œuvre sous la direction de Jean Deroyer [lire notre critique du CD]. Tout en empruntant l’harmonie à la Suite en mi bémol majeur pour violoncelle n°4 BWV 1010 (1723) de Bach, L’espace du souffle débute dans une épaisseur lointaine qui rappelle Wagner et Strauss. L’épisode rythmique central lorgne avec une mollesse confortable sur la version orchestrale des Notations de Boulez, tout en réveillant les cordes de Messiaen – voilà qui rejoint le sentiment généré par Obliques II : entre Messiaen et Boulez [lire notre chronique]. La longue scansion finale arbore un je-ne-sais-quoi d’assez béat.
BB